Une nuit sous Paris

 

Durant l’été 2017, avec un groupe d’amis nous avons passé une nuit dans les catacombes interdites de Paris.

 

 

 

Le 21 juillet 2017, Place d’Italie, Paris à 21h30 :

Nous sommes tous sur la place d’Italie, il ne manque que Will qui ne devrait pas tarder à arriver.  William c’est le gars un peu fou qui nous a dit que l’un de ses potes cataphile (fan des catacombes) préparait bientôt une sortie sous terre. Il nous a naturellement convié, nous tous : Albane (ma sœur), Héléna, Ambre, Angèle et moi. Alors nous sommes au point de rendez-vous fixé quelques jours plus tôt.

 

22h30 :

Après une demi-heure d’attente Will arrive avec énergie, comme à son habitude, et son sourire détend l’atmosphère. Ça y est, nous sommes prêts ! Il lance, sans réel gène, que son guide est déjà sous terre et propose de nous retrouver directement dans les catacombes. Comment nous joindre en bas, sans réseaux, dans ce dédale de couloirs ? C’est la première interrogation qui me vient à l’esprit.

 

22h45 :

On enlace la poignée d’une bouche d’égout avec une ceinture et nous tirons comme des fous. Le gros couvercle de métal ne se laisse pas faire mais à plusieurs nous parvenons à ouvrir la porte vers les entrailles de Paris. On descend. Des dizaines de mètres de barreaux de fer défilent sur des échelles qui se succèdent. Entre chacune se trouve une passerelle qui, je suppose, a pour but de limiter les dégâts en cas de chute. En quelques minutes nous sommes en bas.

 

 

 

23h00 :

Quelques minutes de marche au milieu des couloirs, des flaques, des pierres et du silence suffisent à me faire prendre la mesure de cette soirée. Ce soir, nous marchons sous la capitale. Le guide auquel William souhaitait confier nos destins n’est pas là. Aucun d’entre nous ne sait réellement où nous allons.

Un quart d’heure après notre entrée, nous rencontrons Charles et Christophe dans une salle souterraine. Christophe est un jeune curieux qui fait sa première soirée sous terre. Charles est le guide. Ils semblent profondément à l’aise et la lueur de leurs bougies, disposées sur une table qui a fait le chemin jusqu’ici par je ne sais quel miracle, suffit à les prémunir du doute que la pénombre des souterrains dépose sur nos cœurs. Ils sont là, et cela suffit à nous rassurer. Ne pas être seul, voilà l’unique règle tacite des souterrains.

 

 

 

00h00 :

Nous marchons depuis une bonne heure avec Charles qui a décidé de nous prendre sous son aile. Plus que par envie, notre guide cataphile nous invite à le suivre pour nous éviter une perte certaine. Même plusieurs centaines de mètres sous terre, sous le métro et la foule, il est toujours possible de faire de l’humanitaire.

 

 

Heure indéfinie :

Nous marchons depuis des heures sous terre en suivant aveuglément Charles qui lui se fie au plan téléchargé sur son téléphone. Sans lui nous sommes perdus. Les quelques pourcents de batterie de son iPhone nous séparent de l’inconnu. Nos ancêtres n’auraient jamais mis leur destin aux mains d’une batterie en lithium.

 

 

Je n’ai plus aucune idée de l’endroit où nous sommes, ni sous quel arrondissement nous marchons. Des panneaux de rues sont parfois indiqués dans les galeries souterraines mais même au cœur de Paris, sous le soleil et les peupliers, je me sens perdu ; alors ici … J’imagine des monuments, des trésors d’architectures défiler au-dessus de moi. Peut-être que nous faisons une pause sous la Joconde ou sous la tombe de Napoléon. Certains squelettes des souterrains reposent plus près de la gloire qu’ils n’auraient pu l’imaginer de leur vivant.

 

Heure indéfinie :

Je ne sais plus quelle heure il est. Je ne sais même plus si mon téléphone est dans ma poche ou non car j’avoue ne plus m’en soucier. La nuit nous porte tous vers ses profondeurs. Plus personne, à part Charles peut-être, ne se soucie de savoir où nous sommes ni depuis combien de temps nous marchons. Après plusieurs heures dans des couloirs qui se ressemblent tous, nous terminons par déambuler sans réel but, ni inquiétude.

 

 

Heure indéfinie :

Nous rencontrons un groupe au milieu d’un tunnel. Eux semblent équipés de lampes plus puissantes, de tenues de chantiers et de musiques. Ce sont des habitués. Christophe, avec qui je sympathise depuis notre rencontre, me dit de ranger mon appareil photo.

« Sous terres les gens aiment l’anonymat. Ton appareil photo pourrait être mal perçu. »

« D’accord, je vais tâcher d’être discret et de le ranger. »

« Merci. »

L’homme est un animal social qui s’adapte à ses congénères où qu’il les rencontre.

 

 

Heure indéfinie :

Charles veut nous emmener vers une salle qui reste hors d’atteinte depuis plusieurs heures. Le passage qui y mène se referme petit à petit. Nous arrivons finalement devant une chatière (tunnel très étroit, creusé par des cataphiles, qui relie des salles ou des couloirs). Nous nous embarquons dedans, chacun une lampe à la main. Nous sommes couchés, ventre à terre, et trainons nos sacs derrière nous car le tunnel est désormais trop étroit. Au bout d’un moment Charles, en tête du convoi, décide qu’il est temps de faire demi-tour : le passage lui semble désormais trop risqué. Poussé par une idée absurde, je décide d’aller dans le trou voir ce qu’il y a de l’autre côté. Même à plat, mon corps menu passe difficilement ente les parois. De l’autre côté je tombe face à un mur de terre qui s’arrête net. Les voyageurs de la nuit n’ont pas terminé leur travail. Lorsque j’entends la voix de mes camarades résonner au loin, je réalise que je suis seul dans un trou, plusieurs centaines de mètres sous terre. Seul le petit passage que j’ai franchi à l’aller me relie à eux, comme un fil d’Ariane qui s’est rétrécit. Pendant quelques secondes je pense à tous les hommes tombés dans des crevasses, à tous les corps dans des tombeaux. Le salut d’une cordée tient à si peu… C’en est effrayant. C’est décidé, jamais je ne serais enterré. Brûlez-moi sur un bucher ardant pour que mon corps retourne à la poussière. Mais jamais, je vous en prie, ne laissez jamais mon corps être avalé par la terre.

 

 

06h00 :

Nous remontons une échelle qui paraît encore plus grande qu’à l’aller. D’en haut nous ne voyons qu’un puit d’obscurité, mais d’en bas la sortie parait si loin. Sur l’échelle, perché sur un barreau à quelques dizaines de mètres du sol, mon trépied me glisse des mains et se fracasse par terre. Je redescends le prendre tandis que le groupe continue son ascension vers la lumière. Au pied de l’échelle je regarde le groupe remonter. Un coup d’œil dans chaque direction, dans un noir plus profond que la nuit, me glace le sang. Je remonte en vitesse. Là-haut, je reviens à la vie.

Dans le train qui me ramène chez moi, à peine une heure après être remonté, les souterrains me laissent déjà un souvenir à la fois terrifiant et merveilleux. Devant le soleil qui se lève sur la ville et qui inonde le train de lumière, me manque déjà la frénésie qui a enlacé nos corps toute la nuit sous Paris.