La Patagonie sans argent

 

Avec Yoann Zarifian, du 27 février au 12 mars 2020, nous avons traversé la Patagonie sans argent. Pendant deux semaines et sur plus de 2500 kilomètres, il nous a fallu chaque jour trouver à manger, des véhicules pour avancer dans notre aventure, et un lieu où passer la nuit.

 

 

 

27 février

 

Le 27 février, avec Yoann Zarifian, nous quittions Ushuaia et partions à la rencontre de la grande Patagonie. Le voyage commençait bien, comme il se doit lorsque l’on part depuis « le bout du monde » (surnom d’Ushuaia) : sous une averse. Nous attendions notre première voiture jusqu’à l’arrivée de José. Il nous déposa à la grande porte de bois à l’entrée de la ville. Ensuite, nous sommes montés dans un pickup noir qui nous a déposés au bord de la route, à l’entrée d’une petite ville où nous avons attendu cinq minutes, tout au plus, avant qu’arrive Ruben, un conducteur de camion, et qu’il nous dépose devant Rio Grande. S’ensuivirent des heures d’attentes. Après des heures d’ennui et la certitude que nous étions au mauvais endroit pour trouver une voiture, nous avons marché pour contourner la ville. Des bourrasques de vent accompagnées de sable nous suivaient. Pris de pitié, un vétérinaire nous a pris dans sa voiture et nous a déposés dans le centre de Rio Grande. Deux dames nous prirent en stop et nous laissèrent à la sortie de la ville. Nous avons sonné à une porte pour demander si nous pouvions camper dans le terrain à côté de la maison, la dame qui ouvrit la porte accepta. Elle nous offrit aussi des bananes après que je lui ai expliqué notre projet sans argent. Ce premier jour nous mettait directement dans le bain.

 

 

28 février

 

Nous avons attendu une bonne partie de la journée au bord de la route … Les heures défilaient et rien ne se passait. C’était terrible ! Dans l’espoir de trouver une bonne âme, on se résigna à marcher jusqu’à un entrepôt où se rendent les camions pour faire signer des papiers par les douaniers. Arrivé devant le grand bâtiment en taule, encore devant l’entrée et avant même d’accoster un conducteur de poids lourd, Daniel s’arrêta au bord de la route et nous prit dans son SUV. Avec lui nous avons passé trois frontières : d’abord argentine, puis chilienne, et à nouveau argentine. Daniel nous embarqua sur le ferry avec lui afin de traverser le détroit de Magellan. C’est ainsi que nous avons quitté l’Isla del Fuego. En début de soirée Daniel nous a laissés à Rio Gallegos de l’autre côté du détroit. Daniel ne nous a quasiment pas adressé la parole de tout le trajet, et pourtant, il fut peut-être notre meilleur conducteur, nous permettant de traverser trois frontières et un détroit. À Rio Gallegos la collecte de nourriture fut incroyable. Après des explications de notre projet sans argent, tout le monde nous offrait généreusement quelque chose et nous finissions la soirée avec deux barquettes pleines de nourriture. Dans une petite rue de la ville, alors la nuit tombée, nous avons sonné à la porte de Ramon et lui avons demandé l’hospitalité. Sa femme refusa, mais Ramon, décidé à nous aider, nous conduisit au camping le plus proche. Pendant une heure il attendit l’arrivée du gérant pour lui expliquer notre projet sans argent et appuyer notre demande d’hospitalité. Le gérant n’arriva pas, jamais même, mais dans le doute Ramon nous laissa 1000 pesos (15€) pour pouvoir payer l’emplacement de camping en cas de problème. Finalement, personne ne nous a rien demandé et nous avons gardé ces pesos. Ils nous serviraient plus tard.

 

 

29 février

 

Les stations essence devinrent rapidement essentielles dans notre aventure et, ce matin, nous nous rendions dans l’une d’elles. Là-bas, on y trouve facilement à manger, des prises électriques pour nos appareils et beaucoup de conducteurs enclins à nous emmener avec eux. L’employée de la station nous a offert deux salades en barquette. Au bout de 15 minutes, Ramon débarqua à la station alors que nous ne l’avions pas contacté. Comment savait-il que nous étions là ? Était-ce une coïncidence ? Cet homme que nous connaissons depuis 24 heures était-il un espion ? Il nous parlait de l’un de ses contacts du Rotary Club basé à El Calafate qui pourrait nous aider à notre arrivée dans la ville. Cela convainquit Yoann de sa culpabilité : Ramon était un espion ! D’abord il nous trouvait dans cette station, puis il nous parlait de contacts à l’autre bout du pays. On s’inquiétait un peu, pour rire bien sûr, mais tout de même on l’aimait beaucoup ce Ramon. Il nous invita à monter dans son véhicule pour un tour de la ville, puis il se gara devant chez lui et revint avec des empanadas préparées par sa femme Luisa. Nous étions profondément touchés. L’aventure commençait réellement ici, sur cette touche de générosité qui nous convainquit que désormais tout irait bien. Après des au revoir pleins d’émotions, nous trouvions une voiture pour sortir de la ville et aller 30 km plus loin, à un péage. Là-bas, nous avons attendu toute la journée qu’une voiture nous emmène à El Calafate. On désespérait de voir les voitures s’en aller sans jamais nous prendre. Mais, à voir nos allures de clochards assis par terre sur notre carton à côté des jerricanes d’essence du péage, je les comprenais. Des policiers présents au péage se décidèrent même à nous aider en demandant à chaque voiture qui passait sa destination et, si elle se rendait à El Calafate, s’il y avait deux places pour nous. Rien n’y faisait, alors on se contenta d’un gars allant au camping à quelques mètres de là, juste en face de la route. Le conducteur, ami du gérant du camping, lui expliqua que l’on voyageait sans argent et lui fit accepter que nous posions une tente sans payer. Durant la journée nous n’avions pas vraiment réussi à avancer, alors les glaciers patagoniens attendraient, et puis ce soir nous avions toujours les empanadas de Luisa, tout n’était pas perdu.

 

 

 

1re mars

 

Le réveil sonnait et nous invitait à démarrer ce quatrième jour d’aventure. Nous avons quitté le camping vers 09:00. Le trafic sur la route était encore calme. Nous entamions la journée avec espoir. Aujourd’hui, à environ 40 kilomètres de Rio Gallegos, nous faisions de l’auto-stop au bord de la route. De 09:30 à 13:30, nous avons attendu dans un silence absolu que seul le bruit d’une voiture venait percer de temps à autre. Lorsqu’une voiture décida de s’arrêter, ce n’était pas pour nous prendre, mais nous apporter deux auto-stoppeurs. Il ne nous manquait que cela pour simplifier les choses : un peu de concurrence. Une française et un allemand : Chloé et Roberto (un nom pas très allemand, ai-je aussi immédiatement pensé).  Ils étaient sympas et souhaitaient aussi se rendre à El Calafate.

 

 

Nous avions un paquet de crackers à nous partager pour la matinée. Mais nous avions espoir de trouver à manger dans une maison perdue au milieu des champs faisant face à la route. J’y suis allé pendant que Yoann gardait les affaires au bord de la route. Là-bas m’ont accueilli deux dames. L’hospitalité en Argentine est incroyable ! J’ai discuté avec elles pendant qu’elles me préparaient deux sandwichs au jambon, fromage, tomates, mayonnaise et amour. À cela s’est ajoutée une bouteille de 2L de coca. Je suis retourné sur la route rejoindre Yoann. J’avais un grand sac dans les bras et un sourire victorieux. Nous mangions ces victuailles lorsqu’un camion s’est arrêté. Étant arrivés après nous, les deux autres voyageurs nous ont laissé la priorité. Ce véhicule était le nôtre. Après plus de quatre heures passées au bord de la route, le pouce levé, je peux vous dire que la venue de ce camion fut appréciée. Le chauffeur ouvrit la porte et dit “je peux vous déposer à Esperanza si vous voulez, à mi-chemin pour El Calafate”. “D’accord génial, as-tu de la place pour quatre voyageurs”, ai-je répondu. “Ouais c’est bon, venez tous !”. On chargea les sacs dans la remorque. Chacun escalada les grandes marches qui menaient dans un paradis de plusieurs tonnes. À l’intérieur nous attendaient deux couchettes, des empanadas, de l’eau fraiche tout droit sortie du mini frigo, et un conducteur absolument génial en tout point. Après quelques instants à se découvrir et s’évaluer Ariel, notre chauffeur, nous proposa de l’accompagner à Rio Turbio et revenir à Esperanza le lendemain. Il faisait l’aller-retour en deux jours. Il se proposait aussi de nous laisser dormir sur les couchettes de son camion cette nuit. Elles pouvaient accueillir deux personnes. Deux autres dormiraient dehors, la tente installée dans la remorque du camion. Évidemment nous acceptâmes. Ensemble, Yoann, moi, les deux voyageurs rencontrés quelques instants plus tôt, et ce conducteur, nous formions une joyeuse équipée.

À Rio Turbio, au milieu des installations minières et des chiens errants, nous vivions comme des princes. Nous étions heureux et surtout chanceux. Ariel, notre bonne étoile descendue du ciel en camion trois tonnes nous a invités à participer à un « asado » (barbecue) qui avait lieu chez un ami à lui. Son ami nous a avoué par la suite :  “je n’ai pas compris quand j’ai vu que les personnes qu’il avait invitées étaient des étrangers, mais au téléphone il m’a dit que vous étiez des amis à lui, alors j’ai accepté de vous recevoir chez moi”. Un ami, déjà ? Le cœur de cet homme est sans limites. Avec Ariel, la frontière entre l’étranger et l’ami peut être brisée en passant simplement quelques heures sur le siège passager de son camion. Cette soirée fut incroyable ! Emmanuel, l’ami d’Ariel nous ayant reçus à manger, est un homme tout aussi formidable. Au-delà d’être un père attentionné, Emmanuel est un homme généreux qui nous a cuisiné des chorizos et chanté quelques chansons. La soirée s’est terminée sur un karaoké. Entre Hakuna Matata en espagnol et quelques chansons des Gispy King, ou encore Stromaé, nous avons chanté dans toutes les langues que nous connaissions.

Durant la soirée, avant qu’Ariel nous ait invités à nous joindre à un barbecue chez l’un de ses amis, Yoann et moi sommes partis en promenade. Nous avons demandé à des commerçants s’ils pouvaient nous aider, car nous avions besoin de nourriture pour reprendre la route le lendemain. Dans toutes les épiceries et restaurants dans lesquels nous avons demandé à manger, tous nous ont donné quelque chose pour nous aider. La seule exception fût un kiosque, car l’employée présente nous a avoué ne rien pouvoir donner sans l’accord de son manager. Mais ses encouragements pour la poursuite de notre voyage remplacèrent toutes les victuailles du monde. Tous les cœurs se sont ouverts à notre histoire et nos panses en furent reconnaissantes. Je retiens particulièrement la générosité d’Augusto et Estella. Ils nous ont reçus comme de véritables amis en nous offrant une bonne discussion et un hotdog chacun. Ils nous ont proposé de repasser le lendemain matin avant notre départ dans la boulangerie d’une des rues voisines au commerce dans lequel nous étions, car elle leur appartenait aussi ; chose que nous avons faite sans hésiter et avec plaisir !

 

 

2 mars

 

La journée a commencé d’une manière un peu particulière. Nous nous sommes réveillés dans la tente installée dans la benne du camion. Nous roulions déjà lorsque nos yeux se sont ouverts. Puis, quelques minutes après le réveil s’est envolée la porte arrière de la benne. Notre tente étant installée au fond de la benne du camion à quelques centimètres de la porte arrière, nous nous sommes tout à coup retrouvés au bord du vide lorsqu’elle a disparu. Le vent poussait la tente vers l’arrière. Nous étions à peu de chose près de nous faire emporter sur la route et de terminer sous les roues de la voiture qui suivait le camion. En un regard, Yoann et moi avons tacitement conclu qu’il fallait de toute urgence pousser la tente vers l’intérieur de la benne. Puis nous sommes sortis au plus vite de cette prison de toile. S’ensuivit une crise de rire mémorable.

Après cet épisode rocambolesque, Ariel nous a emmenés dans un garage où il devait faire réparer sa porte. Roberto et Chloé cuisinaient le petit déjeuner sur une gazinière dans le garage pendant que Yoann me nettoyait au Karcher derrière une voiture. Nous sommes retournés voir Augusto et Estrella afin d’honorer leur proposition de la veille, et quelle fut notre surprise quand nous découvrîmes leur porte à nouveau grande ouverte. Estrella nous a offert trois sacs composés de pain et de pâtisseries. Nous sommes revenus au garage les mains pleines de victuailles pour participer au petit déjeuner que Roberto et Chloé venaient de préparer. Cette fois nous avons pu offrir quelque chose. Nous avons aussi collectivement nettoyé le camion d’Ariel, ce qui nous a permis de nous sentir utiles cette fois, et d’offrir quelque chose en retour. Après avoir tant reçu en chemin nous avons enfin pu rendre un peu ; cela nous a comblés au plus haut point. J’ai compris ce jour-là que donner rend encore plus heureux que de recevoir.

 

 

Nous avons repris la route vers Esperanza. De là, il nous fallait trouver une autre voiture pour El Calafate. Nous attendions dans la station essence d’Esperanza, pendant une bonne heure, laissant cette fois la route disponible à nos deux compagnons de voyage. Yoann et moi parlions à tous les conducteurs qui s’arrêtaient. Pendant ce temps, Chloé et Roberto levaient les pouces au croisement devant la station essence. Après deux heures sans succès, nous décidions de nous mettre sur la route derrière nos deux amis auto-stoppeurs. Devant la station essence, une dame nous offrit six empanadas rangées dans un sac en carton. Pour leur donner du courage, nous avons offert la moitié à Chloé et Roberto qui faisaient du pouce sur la route d’en face. Il faut bien se soutenir entre vagabonds. Nous allions nous installer plus loin, derrière eux, car la loi de la route veut que les derniers arrivés se mettent derrière les premiers. C’est un peu comme « la loi des crocs et du gourdin » comme dirait Jack London. Quelques minutes plus tard, une voiture passait et les prenait. Désormais seuls, nous étions tristes de les voir partir, alors persuadés de ne jamais les revoir. Quelques minutes après, une voiture s’arrêtait pour nous. 

Loïc et Coralie nous ont pris dans leur voiture aux alentours de 19:00. Nous avons fait le trajet de Esperanza à El Calafate ensemble. Dans le véhicule nous avons parlé de nos aspirations personnelles, et nous avons reçu les conseils avisés de ces deux entrepreneurs. Ces deux Lillois s’offraient deux semaines de vacances en Amérique du Sud avant de reprendre le boulot.

À El Calafate, nous avons marché vers la station-service la plus proche. Celles-ci offrent du Wi-Fi, des toilettes et, potentiellement, à manger si les gérants sont généreux — la Mecque du voyageur sans argent, en somme. Dans cette station-service j’ai croisé Chloé et Roberto en me rendant aux toilettes. Suivant la même logique que nous, ils ont demandé à être déposés au même endroit. Après concertation nous avons décidé de partir tous ensemble à la recherche d’un terrain où camper. Les recherches ne donnèrent rien. Chloé et Roberto semblaient vouloir se retrancher vers un camping que moi et Yoann nous ne pouvions malheureusement pas payer. Nous les avons laissés exécuter leur plan et sommes repartis en quête du terrain tant espéré. C’est finalement en sonnant à la porte de Maxime que nous avons trouvé l’hospitalité. Au début, ce jeune argentin installé à El Calafate avec sa petite amie semblait réticent. Après lui avoir expliqué que partirions tôt et que nous ne désirions rien de plus qu’un carré d’herbe de son jardin, il accepta.

 

 

3 mars

 

Durant la matinée nous avons rejoint Marion à son hôtel. Marion est une collègue avec qui nous étions en stage à Pucon, au Chili, avant notre départ pour la Patagonie. Ce fut vraiment agréable de revoir une tête familière. Elle nous a tenu compagnie une petite heure, avant que nous nous rendions à la station de bus d’El Calafate pour acheter un billet pour le Perito Moreno.  Oui, acheter. Le Perito Moreno est la seule exception que nous avons faite, le seul achat du voyage, car nous voulions à tout prix admirer ce glacier de nos yeux. À tout prix ! Nous avons fait une exception pour ce lieu, mais nous sommes heureux d’avoir posé notre marque de voyageur sans argent en mangeant, devant le Perito Moreno, des burgers offerts par le restaurant touristique faisant face au glacier. L’entreprise nous semblait compliquée, mais le gérant du restaurant nous a finalement offert un sac rempli d’une dizaine de petits burgers ainsi que trois barquettes de salades. Le café d’en face, lui, nous a proposé un café pour Yoann et un thé pour moi. Quel bonheur de se rendre compte que la générosité fait aussi intégralement partie de ces lieux touristiques. Ces derniers jours, rien ne semblait nous résister. Les nuits se faisaient dans des camions ou des jardins et les ventres étaient pleins. Nous continuions d’espérer que la chance nous suivrait.

 

 

De retour à El Calafate, en début de soirée, Leila, une Française rencontrée durant l’excursion au Perito Moreno, nous invitait à prendre un maté à son hôtel. Lorsque nous l’avons rencontré, elle voyageait depuis 40 jours en Patagonie avant de commencer, dans le cadre de ses études en droit international, son échange universitaire à Buenos Aires. La soirée fut très agréable. D’autres clients de l’hôtel se sont joints à notre cérémonie du maté qui prenait place sur la terrasse de l’hôtel. Nous avons discuté avec Elias, un Argentin venu à El Calafate pour trouver du travail, et un allemand voyageant seul en Amérique du Sud pendant un an. Nous avons quitté la petite fête vers 22:30 et nous nous sommes remis en marche. Deux étoiles filantes ont repris leur course dans la nuit. Notre camp bordait une route à la sortie de la ville, ainsi nous étions prêts à dégainer les pouces le lendemain matin. Le camp se monta plus vite que d’ordinaire. Nous constations, au fil des jours, des habitudes et instincts se développer. À mesure que nous avancions dans ce voyage, nous découvrions notre part de sauvage. Un retour à notre condition de “chasseur cueilleur” comme, disait si bien Yoann. Sur la route, nous avions tout à trouver et chaque rencontre était décisive.

 

 

4 mars

 

À 7:00 l’alarme sonna. Nous avons rapidement rangé le camp. Puis nous avons repris notre condition de vadrouilleurs et avons levé les pouces en bord de route. Mais ce matin l’attente fut de courte durée. Après une dizaine de minutes, une voiture s’est arrêtée. Direction El Chalten !

Dans la voiture avec Laura, nous avons partagé du maté et quelques biscuits au chocolat qu’elle nous a généreusement offert. En guise de remerciement Yoann, depuis le siège passager, préparait le maté pour tout le monde. Notre conductrice est une Argentine devenue guide française dans le parc Los Glaciares après avoir pris des cours de langue dans une antenne de l’Alliance française à Buenos Aires. Nous conversions en français, à propos de tout. Des randonnées du coin à la cuisine française et argentine, tout y passait. Elle avait le contact facile et la conversation avec elle était très agréable.

 

 

Nous étions au septième jour d’aventure et le cap de la première semaine était symbolique pour moi, car il marquait ma plus longue période de voyage sans argent. Je m’étais essayé à cette manière de voyager durant cinq jours en Italie et le temps d’un week-end au Chili. Cette expérience m’avait plu. En Patagonie j’y revenais pour plus longtemps. Au-delà de l’expérience de quelques jours, je souhaitais le découvrir en tant que mode de vie temporaire.

Arrivés à El Chalten nous avons ensuite pu profiter du reste de la journée pour randonner. Direction le sentier du Laguna de Los Tres. Nous avons pris notre temps sur les sentiers, faisant des pauses, des photos … nous sommes arrivés de nuit au camp Poincenot.  Le lieu paraissait irréel et y arriver de nuit lui conférait le pouvoir de nous émerveiller. Des dizaines de tentes entre les arbres, perceptibles seulement grâce à la lueur des lampes frontales qui jaillissaient de chaque tente. Le camp était bondé, mais un silence de plomb régnait dans ces sous-bois. Les randonneurs faisaient preuve d’un grand respect envers ceux déjà au lit. Tout le monde savait pourquoi les autres étaient là, nous étions tous là pour la même raison : se lever à l’aube et être à l’heure pour admirer le lever de soleil caressé le Fitz Roy.

 

 

Nous étions au septième jour d’aventure et le cap de la première semaine était symbolique pour moi car il marquait ma plus longue période de voyage sans argent. Je m’étais essayé à cette manière de voyager durant cinq jours en Italie et le temps d’un week-end au Chili. Cette expérience m’avait plu. En Patagonie j’y revenais pour plus longtemps. Au-delà de l’expérience de quelques jours, je souhaitais le découvrir en tant que mode de vie temporaire.

Arrivés à El Chalten nous avons ensuite pu profiter du reste de la journée pour randonner. Direction le sentier du Laguna de Los Tres. Nous avons pris notre temps sur les sentiers, faisant des pauses, des photos, … nous sommes arrivés de nuit au camp Poincenot.  Le lieu paraissait irréel et y arriver de nuit lui conférait le pouvoir de nous émerveiller. Des dizaines de tentes entre les arbres, perceptibles seulement grâce à la lueur des lampes frontales qui jaillissaient de chaque tente. Le camp était bondé mais un silence de plomb régnait dans ces sous-bois. Les randonneurs faisaient preuve d’un grand respect envers ceux déjà au lit. Tout le monde savait pourquoi les autres étaient là, nous étions tous là pour la même raison : se lever à l’aube et être à l’heure pour admirer le lever de soleil caresser le Fitz Roy.

 

 

 

5 mars

 

Réveil à 05:20 et départ à 05:30. Nous avons laissé la tente au camp, et les affaires dedans, comme le font tous les randonneurs présents. Nous observions au loin sur la tête des randonneurs les plus courageux, ceux ayant entrepris l’ascension avant nous, des lampes frontales transpercer la nuit. Elles s’alignaient et formaient ensemble une grande trainée s’étalant au loin, révélant ainsi le chemin qui nous attendait. Ce cortège lumineux au milieu de la nuit donnait à l’instant des airs d’expédition. Il était vraiment excitant de savoir qu’une fois là-haut, le soleil commencerait son ascension dans le ciel pour venir nous rejoindre au pied du Fitz Roy. Une fois les premières lueurs du jour dans le ciel, après un spectacle fabuleux, nous sommes retournés au camp récupérer nos affaires puis avons mis cap vers le lac Torre.

 

 

De retour à El Chalten, nous sommes partis à la recherche de nourriture dans la ville. Nous pensions être face à une auberge, mais la première porte à laquelle nous avons sonné était en fait une résidence privée. Lorsque le propriétaire a ouvert la porte, nous avons quand même demandé du vieux pain. Un brésilien nommé Cristiano nous a ouvert sa porte et bien plus encore. Il nous a conviés au repas qui prenait place avec sa famille. Ils venaient tout juste de terminer de manger, mais ils nous ont dressé la table et servi un plat typique brésilien à base de riz et de viande. Nous avons beaucoup parlé, puis après les remerciements nous avons repris notre route. On a demandé des provisions dans quelques commerces de la ville pour le lendemain, car la Route 40, connue pour traverser de grandes étendues désertiques, nous attendait le lendemain.

Nous avons ensuite retrouvé Marion, que nous avions aussi vue à El Calafate, à son hôtel. On a aussi retrouvé Elias par pur hasard, l’Argentin rencontré lui aussi deux jours plus tôt à El Calafate. Il logeait dans la chambre voisine de Marion avec un autre argentin vivant à Cordoba. Nous avons cuisiné un grand morceau de viande qu’un restaurant nous avait offert durant notre tour dans la ville. La soirée fut très conviviale. L’homme de Cordoba cherchait un moyen à se rendre à Bariloche tout comme nous. Il nous a avoué durant la soirée que les 7000 pesos que coûtait le bus El Chalten – Bariloche étaient trop chers pour lui. Il envisageait l’auto-stop, mais cette alternative lui paraissait trop compliquée. “D’ici à Bariloche la route 40 est un véritable désert”. L’auto-stop était pourtant notre seule option. Nous avons terminé de manger, puis la soirée a pris une tournure imprévue : Elias nous a cachés dans sa chambre d’hôtel. Le plan était simple : attendre que le gars de la réception s’en aille pour entrer dans la chambre, puis en sortir le lendemain matin avant qu’il arrive à 8h. Cet homme était prêt à beaucoup de choses pour nous aider. Il nous a cuisiné à manger, caché dans sa chambre, et surtout il fut d’une compagnie très agréable. Il s’agit d’un homme très marrant et démonstratif. Si vous arrivez à passer outre son apparence négligée et sa dentition semblable au pare-chocs d’une vieille guimbarde en réparation dans l’un des garages de Rio Turbio, alors vous attend une grande aventure humaine. En guise de remerciement nous lui avons offert les 1000 pesos que nous avait donnés Ramon pour le camping à Rio Gallegos.

 

 

6 mars

 

Nous avons quitté la chambre à 07:00, avant que l’employé de l’accueil arrive. Nous avons attendu neuf heures au bord de la route, de 08:00 à 17:00. Tous les auto-stoppeurs autour de nous on était pris ce jour-là ; tous sauf nous … Quelque chose devait clocher chez nous ce jour-là. Ou peut-être que les vacances en Argentine terminée, seule des touristes se rendaient et quittaient El Chalten à cette période de l’année. Et les touristes, parfois ça vous aide, et souvent ça vous laisse galérer. C’est sans rancœur que nous sommes retournés, bredouilles, à l’hôtel où logeait Elias. Il nous a cuisiné des spaghettis pour nous réconforter. C’était très bon. Durant la soirée on a à nouveau bien ri. Nous étions comme de vieux potes avec Elias et ce gars de Cordoba rencontré la veille. Cet alcoolique de Cordoba a une manière si naturelle de te mettre quelques billets dans la main tout en te disant “cours acheter de la bière avant que le magasin ne ferme”. Il l’a fait durant les deux soirées que nous avons passées avec lui, et aussi bien avec moi que Yoann. Puis nous avons quitté l’hôtel vers minuit pour dormir à la station de bus. Nous cacher une deuxième nuit dans sa chambre d’hôtel paraissait trop risqué pour Elias et nous ne voulions pas abuser de sa générosité. Miguel est un conducteur de bus que nous avions rencontré durant la journée, lorsque nous retournions à l’hôtel d’Elias. Après un bref échange, il nous a proposé de le retrouver à 07:30 le lendemain matin pour que nous montions discrètement dans son bus sans payer, ce qui va à l’encontre de la politique de l’entreprise de transport pour laquelle il travaille. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Nous avons donc élu domicile pour la nuit à la station de bus, afin d’être sur place à l’arrivée de notre ami conducteurs de bus. Le plan semblait parfait. Parfait jusqu’à 2 heures du matin, après une heure de sommeil, lorsque trois policiers nous sortîmes de notre sommeil. “Vous ne pouvez pas dormir ici.” Puis, demande de passeport. La patrouille s’en allait après un contrôle en règle. À cause de la pluie, du vent, et du froid, nous décidons de rester derrière les murs et le toit de la station, mais nous savions pertinemment que si nous nous rendormions nous ferions l’objet de problème avec les forces de l’ordre. Nous avons donc dû rester éveillés de 02:00 à 07:30. La patrouille est revenue deux fois dans la nuit pour vérifier que nous n’avions pas réinstallé les duvets sur le sol de la station. Mais nous avons lutté toute la nuit contre le sommeil pour ne leur offrir aucune raison de nous embarquer. La nuit était froide. Nous avons mis toutes les couches de vêtements que nous avions à disposition. L’averse qui transperçait la nuit rendait l’air humide. Cette station au toit couvert, mais toutefois en extérieur nous protégeait du vent et en parti du froid, mais cela restait un abri de fortune dans lequel nous vécûmes les heures les plus longues du voyage.

 

 

7 mars

 

À 07:30 Miguel nous a fait monter dans son bus. Il nous a expliqué le plan : “à 100km, lorsque nous serons au croisement avec la Route 40, je m’arrêterai et j’ouvrirai la porte du bus. Descendez, ouvrez la petite porte derrière laquelle se trouvent vos bagages. Prenez-les et refermez la porte. Je continuerais à droite (vers le Sud), il vous faudra trouver une voiture qui part dans l’autre sens. Bonne chance les gars !”. Une fois chose faite nous l’avons salué puis avons vu le bus s’éloigner. La route s’est très vite vidée des quelques véhicules présents et le silence de la Route 40 a repris ses droits. Nous étions désormais au milieu de la pampa argentine. La ville la plus proche de ce croisement était à 30km et El Chalten à 100km. Deux Chiliens, Felipe et Vanessa, faisaient du stop depuis la nuit dernière. Ils attendaient la voiture. La voiture ! Celle qui vous libère de l’enfer de l’attente. Celle que tous les voyageurs attendent. Celle qui vient vous sauver même au milieu de la Route 40. Les neuf heures d’attente du jour précédent nous avaient marqués. Nous espérions attendre moins longtemps.

 

 

Un italien à vélo s’est arrêté. Il traversait l’Amérique du sud de Quito jusqu’à Ushuaia depuis 5 mois. Au bout de deux heures est arrivée une ambulance qui a pris tout le monde : le couple de Chiliens et nous. Nous étions quatre dans cette fourgonnette remplie d’instruments médicaux. On filait maintenant à toute allure dans la Patagonie déserte, les rafales de vent étaient très fortes et faisaient vibrer le fourgon. Au bout d’un moment, une énorme rafale déplaça l’ambulance sur la route, le conducteur eu peur de faire une sortie de piste et contrebraqua avec force. L’ambulance n’encaissa pas et glissa sur la route non revêtue. On s’est tous regardé le temps d’un instant avec la même peur dans le regard : l’accident était imminent. Dans une ultime tentative, le chauffeur tourna le volant brusquement et l’ambulance tangua de l’autre côté avant de se stabiliser. Le chauffeur nous a dit que nous avions failli nous renverser. On a eu chaud. Après tant d’émotions, je me suis endormi sur un brancard, les autres dormaient sur des chaises d’hôpital.

Nous sommes arrivés à Gobernador Gregores. Les deux Chiliens étaient vraiment sympas alors nous avons partagé avec eux des empanadas que nous avait offertes une employée de la station-service où nous étions arrivés. Puis nous avons cherché des camions enclins à nous emmener plus au Nord. Tous étaient arrêtés sur le parking de la station-service à cause du vent. Des rafales aux alentours de 100km/h ponctuaient la journée. Nous avons attendu tous les quatre sur le parking, puis vers 19:00, lorsque les camions étaient sur le départ, les deux Chiliens nous ont trouvé deux camions se rendant vers le Nord. Le premier se chargeait de les emmener tandis que le deuxième était pour nous. Les deux binômes avaient rendez-vous 200km plus au Nord, à Perito Moreno, une ville portant le même nom que le célèbre glacier. À 00h30 les deux camions nous déposaient au bord de la route, à l’entrée de la ville. Felipe et Vanessa nous proposèrent de camper dans la ferme d’un boulanger qu’ils avaient rencontré durant le début de leur voyage. On s’est endormis dans la tente après une soirée passée dans une roulotte en bois.

 

 

 

8 mars

 

Au réveil, après avoir mangé en guise de petit déjeuner quelques gâteaux offerts par des habitants d’El Chalten, et après avoir joué avec les porcelets de la ferme, nous avons dit au revoir à Felipe et Vanessa qui dormaient encore dans la roulotte au moment où nous plions bagage. Nous avons traversé Perito Moreno à pied pour rejoindre la sortie menant à la Route 40, de l’autre côté de la ville. En chemin nous avons cherché à manger. Les seules victuailles trouvées furent deux sandwichs à la station essence. De manière inattendue, une dame n’ayant rien à nous donner nous mit une cinquantaine de pesos dans les mains. Ils serviront peut-être plus tard pensais-je. Nous avons ensuite levé le pouce une bonne partie de l’après-midi, sans résultat. Vers 18 :30, alors que nous pensions arrêter de faire du stop d’ici une vingtaine de minutes, Luis est arrivé. Il nous a conduits dans son camion à Rio Mayo. Durant ce trajet de 120 km nous avons eu le droit à des sandwichs, du jus, des boites de conserve, un bidon de 8L d’eau, un bout de carton pour changer notre pancarte, et même de l’argent pour s’acheter des cigarettes. De manière complètement inattendue Luis nous a offert 200 pesos pour que nous nous achetions des cigarettes après lui avoir avoué que lors des longues heures d’attente au bord de la route notre seul réconfort était de fumer.

Une fois arrivés à Rio Mayo nous demandions à manger dans quelques boutiques et restaurants, dont un qui nous offrit deux barquettes de frites. Une fois que nous avions suffisamment de nourriture pour dîner nous partions à la recherche du camping municipal. Nous arrivions finalement sur un terrain vague dont les seuls aménagements étaient quelques installations de briques pour faire cuire de la viande à la « parilla » (au grill). Dans les campings argentins, chaque emplacement dispose de son propre barbecue. L’entrée dans le camping se faisait en enjambant un grillage défoncé. Nous avons posé les affaires et installé la tente, et une fois le camp prêt, alors que nous pensions enfin avoir du calme pour nous reposer, un groupe de chiens errants arrivait. Ils étaient sympathiques, mais se battaient, aboyaient, l’un d’eux pissa même sur la tente que Yoann nettoya en vociférant quelques insultes à destination du chien. Admirant la scène sur le côté, je rigolais bien. Nous avons mangé nos frites et sommes allés au lit.

 

 

9 mars

 

Au réveil, nous nous sommes rendus à la station essence pour profiter du Wi-Fi et nous laver les dents dans les toilettes. Nous étions suivis par les chiens errants de la veille ; ils ne nous lâchaient plus. Lorsque je me rendis aux toilettes, deux d’entre eux me suivirent jusque dans les cabinets. Un Argentin qui entrait dans les toilettes au même moment regarda les chiens avec incompréhension. Nous quittions cette station essence pour nous installer à la sortie de la ville afin de commencer à faire du stop, mais les chiens nous suivent encore, ce qui posait un réel problème. Il était évident qu’avec eux assis à nos côtés aucune voiture ne nous prendrait. Nous devions impérativement les semer, leur trouver un nouveau centre d’intérêt. Nous tentions de changer de rue quand les chiens avaient le regard tourné, mais rien n’y faisait, ils nous pistaient de très loin. Ils nous suivirent jusqu’à l’emplacement où nous débutions le stop. À 50 mètres devant nous se trouvaient deux Argentins qui faisaient du stop depuis le matin. Lorsque nous sommes arrivés à 10:00 eux étaient là depuis deux heures. Nous leur avons laissé la première partie de la route et sommes allés derrière. Au bout d’un moment les chiens nous ont laissés tranquilles. Attendaient-ils que nous leur donnions à manger ?

Les deux voyageurs occupant la première partie de la route avaient des looks de hippies. À côté d’eux, sur une large portion de trottoir était posé un tas d’affaires et de bric-à-brac qu’ils devaient appeler « bagages ». Leur entreprise ressemblait plus à un déménagement qu’un voyage. Avec tant d’affaires, personne ne voudrait s’arrêter pour eux. Nous comprenons pourquoi ils attendaient depuis le matin. Nous avons passé la moitié de la journée derrière eux, jusqu’à qu’ils abandonnent et retournent dans le centre-ville. À un moment, peut-être pris de désespoir, ils ont même commencé à jongler et faire virevolter des rubans dans les airs. Pour notre plus grand bonheur et pour compléter le portrait, intrigués par le spectacle, les chiens les ont rejoints. Comme nous le pensions en les regardant, cela n’a pas fonctionné, ils sont repartis, bredouille, nous laissant le champ libre pour trouver une voiture.

La journée fut d’une monotonie sans égal. Un spectacle m’a sorti de l’ennui : des chevaux ont traversé la rivière qui s’écoulait à côté de la route. Les chevaux étaient suivis de leurs maitres, enfin je suppose qu’ils l’étaient. Le convoi progressait lentement le long du cours d’eau. L’un des chevaux s’est arrêté quelques minutes et a traversé la rivière pour atteindre une butte d’herbe au milieu de l’eau. Je suis descendu faire quelques photos de lui. Se tremper les pieds valait la peine. J’étais plongé dans cette séance photo lorsque Yoann m’a appelé depuis la route, un chauffeur s’était arrêté. Nous avions attendu toute la journée, de 10:00 à 18:00, lorsqu’enfin Christophe est arrivé. Ce polonais a conduit toute la nuit et nous a permis de rejoindre Bariloche en une seule étape. À une heure du matin, lorsque nous étions encore en train de rouler dans les bois à une quinzaine de kilomètres de l’entrée de la ville de Bariloche, nous lui avons dit de nous laisser là au bord de la Route 40. Dans la voiture nous avions repéré un lieu alléchant pour camper au sud de la ville. Cela nous a offert une nuit dans les bois. Un accès à un sentier se faisait depuis la Route 40. Nous sommes donc partis de là. Nous avons marché une petite demi-heure dans la nuit afin de trouver un emplacement tranquille. Une fois cela fait, les corps allongés dans la tente, nous nous sommes endormis en quelques secondes. Après plusieurs nuits de camping urbain, nous étions heureux de dormir en forêt. La nature offre un réconfort que ne pourront jamais égaler les villes.

 

 

 

10 mars

 

Je me suis réveillé tranquillement après une grasse matinée dans les plumes. Il était 10:30 lorsque la lumière du jour me sortit du sommeil. Yoann dormait encore à côté de moi, comme à son habitude. J’écrivais dans les notes de mon téléphone les péripéties des jours précédents. Puis je rangeai le duvet et sortis de la tente. Yoann mettait toujours un peu de temps à se réveiller. Ce jour-là, nous nous réveillions dans une forêt dont l’air frais embaumait le chemin. Nous pouvions désormais admirer le relief et la beauté de cette région ; chose qui nous était alors impossible la veille, durant notre arrivée de nuit. Une fois le camp rangé, nous avons marché dans les bois, nous avons ensuite tenté de rejoindre à pied un lac dans les environs, mais au bout d’une heure le sentier s’arrêtait devant un complexe hôtelier qui nous barrait le passage. Nous étions contraints de faire demi-tour. « L’homme s’est installé partout », pensais-je en rebroussant chemin. Yoann trouva 100 pesos oubliés devant la clôture. Ils devaient être tombés d’une poche. Nous avons décidé de les garder, car la vie les avait peut-être mis sur notre chemin pour une bonne raison, qui sait ? Nous devions faire marche arrière et rejoindre la Route 40 de là d’où nous étions venus. Une fois à hauteur de la route, nous avons mangé dans un abri bus en bois qui avait l’allure d’un refuge pour randonneurs. Nous avons commencé à faire du stop et après quelques minutes d’attente deux dames se rendirent à l’abri bus face à nous : un bus approchait ! Par curiosité, Yoann demanda le prix du ticket de bus à l’une des dames qui lui répondit 60 pesos ici et 50 pesos au prochain arrêt à un kilomètre.  Nous savions désormais pourquoi ces 100 pesos avaient atterri à nos pieds, et avec un reste de la monnaie qu’une dame nous avait mis dans les mains quelques jours auparavant nous avions 120 pesos pour prendre le bus. On aurait pu faire du stop, mais quelque chose en nous voulait tout d’abord rester avec ces dames et discuter en attendant le bus, et cela nous permettait de donner un sens à ces pesos trouvés par terre. Cela nous ravissait de trouver signes et symboles en chemin.

L’une des deux dames assises avec nous à l’arrêt était âgée. Nous l’avions déjà vu dans la matinée, lorsque nous avons sonné à quelques portes pour trouver à manger. Cette dame parlait toute seule, posait des questions et y répondait elle-même. Je lançais quelques mots qui partaient dans le vent, car au milieu de mes phrases elle se lançait à nouveau dans un monologue de plusieurs minutes. C’était franchement amusant. Nous l’écoutions avec sympathie, car ses yeux nous regardaient avec bienveillance. Lorsque nous sommes passés à sa ferme un peu plus tôt dans la journée, elle semblait vivre seule. Son unique compagnie était quelques vieux chiens en colère et sa fille habitant une maison voisine. La solitude est le fardeau de beaucoup de personnes âgées. Vient en eux une nécessité de parler, sans jamais s’arrêter, d’expier le silence, lorsqu’une oreille se met à les écouter. Nous avons commencé ce voyage pour rencontrer des gens et elle se dévoilait, comment se plaindre de cela ? Nous sommes arrivés à Bariloche et, après avoir trouvé un peu de nourriture, avons dormi sous un sapin au bord d’une petite route.

 

 

11 mars

 

Il nous fallut attendre moins de 5 minutes sur le bas-côté. J’étais encore en train d’écrire “San Martin de los Andes” sur le carton lorsque la voiture s’est arrêtée. Nous avons été pris en stop par trois filles belges. Marie, Camille, et Nikita au volant. Toutes les trois ayant terminé leur Master 2, elles ont décidé de voyager avant de débuter leur vie professionnelle. Dans la voiture on se racontait nos vies, nos parcours et la raison de notre présence en Argentine. Lorsque nous leur expliquions le voyage que nous faisons, leurs réponses étaient unanimes : “vous n’êtes pas des backpackers en carton, contrairement à nous.” Nous avons passé la journée ensemble, musique à fond dans la voiture, et visite de plusieurs lacs au programme. Les filles avaient loué une voiture à Bariloche pour deux jours afin de visiter la route des sept lacs en deux étapes. Nous avons fait la première moitié avec elles durant cette journée. Arrivés au lac Traful, nos chemins se sont séparés. Les au revoir furent cordiaux ; nous avons eu l’impression de saluer de vieilles amies.

À côté du lac Traful, il y avait un espace de camping gratuit. Quel fut notre enthousiasme lorsque nous vîmes des panneaux indiquant que les feux étaient autorisés dans cette zone de camping. Nous avons installé le camp, récupéré du bois et démarré un feu. Yoann est allé chercher une planche de bois qui trainait dans ce camping. Il a étalé de la farine et a commencé à pétrir. Je lui versais de l’eau au bidon 8L qui nous suit depuis pratiquement une semaine maintenant. Ce simulacre de pain a terminé sur une pierre au bord du feu. J’ai étalé quelques braises dans un coin et j’ai mis la petite popote de camping dessus. Une fois l’eau arrivée à ébullition, les pâtes ont rejoint la petite expédition culinaire. À côté chauffait tranquillement le pain. Le pain n’était pas très réussi. Sans levure ni sel, il avait un simple goût de farine solidifiée. Mais les pâtes elles, étaient parfaites. Nous avons mangé et discuté toute la soirée devant les flammes. Nous rigolions en repensant aux souvenirs des jours derniers. J’étais un peu ému. Les belles soirées dans la nature me font toujours cela. Cette journée fut très agréable en somme.

 

 

 

12 mars

 

Le 12 mars, c’était la dernière ligne droite qui se dressait devant nous. Nous débutions le stop sur la route à côté du camping. Au bout d’une quinzaine de minutes, une voiture s’est garée en face de nous. Je suis allé parler au conducteur qui attendait un ami avec qui il devait prendre le maté ici, avant de rejoindre San Martín de los Andes. Il accepta de nous conduire à la ville à condition que nous attendions l’arrivée de son ami avec lui. Lorsque celui arriva, une dizaine de minutes plus tard, les deux compères chiliens nous convièrent à prendre le maté avec eux, après quoi nous avons repris la route. À San Martín de los Andes, Yoann demanda à manger dans une station essence. L’employée nous offrit deux paquets de biscuits au chocolat, puis nous trouvions une voiture qui nous avança un peu, avant de rencontrer un tas de ferraille génial qui nous déposa à Junín de los Andes. La petite équipée habitait l’entrée de la ville et nous largua devant la maison où ils allaient. Il nous fallut marcher cinq kilomètres pour atteindre l’autre côté de la ville : la sortie. En chemin j’ai interpellé une voiture de police et demandé au conducteur s’il se rendait à la sortie de la ville. Le policier me répondit que non, mais que s’ils nous recroisent plus tard il nous prendrait à bord de sa voiture pour nous avancer. Vingt minutes plus tard, la même voiture fut appelée à la sortie de la ville et nous prit en chemin. Yoann était heureux, car il ne manquait plus qu’une voiture de police pour compléter le tableau des transports insolites. Après l’ambulance, le bus, les camions, le pickup et le tas de ferraille, la voiture de police était notre trophée. On a ensuite trouvé plusieurs autres voitures pour arriver à la frontière avec le Chili, et un conducteur nous a finalement déposés à Pucón où a pris fin notre aventure et où j’ai pu retrouver un mode de vie normal.