Les Vosges à pied : mon premier trek
Dès ma première année d’études supérieures, j’ai profité du contexte international qu’offrait mon cursus pour m’émanciper et voyager dans une dizaine de pays, le plus souvent en solitaire. Je savais dès lors que ma vie serait faite de voyage, mais c’est en juillet 2018 que j’ai pris la mesure de mon attachement à ce vagabondage, lorsque je me lançais modestement dans ma première grande randonnée : la Traversée des Vosges à pied. De Saverne à Evette-Salbert, je suivrais le GR5 sur 275 km. Cet été-là je souhaitais partir à la rencontre de l’aventurier qui vivait secrètement en moi.

La grandeur des petits débuts
Au début de l’été, le cœur assoiffé d’aventure et sans trop réfléchir, je sautai dans un train pour le Grand Est. J’étais habitué à voyager, je revenais tout juste d’un semestre d’étude en Irlande et d’un stage dans un hôtel au Panama, mais la randonnée je n’y connaissais rien. C’était un pas de plus vers l’inconnu. J’avais pris mon avion pour le Panama deux jours après être revenu d’Irlande, et tout le monde m’en voulait un peu de repartir dans les Vosges une semaine après être rentré du Panama ; mais l’aventure ne pouvait attendre. Dans le train, je regardais le paysage avec impatience.
Une fois à Strasbourg, je montai dans un TER en direction de Saverne, où je retrouverai le GR5. Depuis la gare de Saverne, les montagnes ne se laissent pas entrevoir immédiatement. Il faut s’engager un peu, se lancer à la recherche de quelques balises de la FFRandonnée, et après quelques dizaines de minutes de recherche je me trouvai récompensé. Elles étaient là les montagnes que j’ai tant de fois imaginées. C’est un constant étrange lorsque l’on réalise pour la première fois de son existence que ce soir rien ni personne ne vous attend, aucun hôtel, logis ou quelconque ami ne m’attendait au bout du sentier — rien que l’aventure ! Je n’avais pour seul refuge que ma tente Décathlon premier prix. Il m’aura fallu 19 années pour vivre cela.

Je m’engageai tranquillement sur le sentier de Grande Randonnée et faisais mon petit bonhomme de chemin. Au début, le poids du sac me paraissait être une chose à laquelle je ne m’accoutumerais jamais, mais après des heures passées l’un contre l’autre nous avons fini par nous apprécier. Cette première journée était pleine d’émerveillement, ponctuée de splendides châteaux, sentiers, et forêts. Mais en début de soirée, alors que j’étais à la recherche du refuge de Dabo, je me perdis. Je m’étais promis de tout faire pour trouver un refuge pour cette première nuit, car la forêt n’était pas encore quelque chose d’apprivoisé. La nuit se rapprochait et j’étais toujours en pleine forêt et lorsque vers 20h je réalisai que j’étais perdu, le stress, qui progressivement se rapprochait au même rythme que la nuit, eu définitivement raison de moi. Heureusement, après un quart d’heure d’hésitation à avancer ou reculer pour retrouver mon chemin, une voiture s’engagea sur le sentier où je me trouvais. Je me suis alors lancé dans ses phares et demandai au conducteur de m’emmener à ce refuge. D’après ses indications je n’avais apparemment que quelques mètres à faire, mais par peur de me perdre à nouveau j’insistai pour qu’il m’y dépose. Je suis monté, la voiture a fait une marche arrière de 300 mètres jusqu’à un carrefour entre plusieurs sentiers de forêt, et à l’angle se trouvait le refuge. Je m’étais épris de panique à quelques mètres du refuge qui, depuis le sentier en contrebas, était difficilement perceptible. Il me fallait apprendre à mieux lire la forêt, car être « perdu » à 300 mètres d’un refuge est une imbécilité que je ne pouvais reproduire à l’avenir.
La nuit était des plus normales. Ce que mon topoguide m’indiquait comme un refuge n’en était en fait plus un, mais il s’agissait désormais d’un centre de vacances pour jeune. Ne voyant personne, je poussai la grille d’entrée qui était rabattue, mais non verrouillée, et j’entrai. Je posai ma tente face à ce bâtiment que je croyais être un refuge fermé. Une heure après mon entré est arrivé un groupe de jeune revenant d’une journée dans les bois, ils m’ont invité à rester pour la nuit et mon même laissés prendre une douche. J’eus le droit à des couverts pour manger ma conserve préparée dans ma popote, sous le ronronnement du réchaud. Il me semble bien que ce fût la première fois que je faisais fonctionner un réchaud. Quelle extase je découvris dans les petites choses, c’était à mes yeux la grandeur des petits débuts !
À mesure que les jours passaient, je me baladais dans la forêt tout en apprenant à lire les cartes, à trouver les balises et à me faire confiance. À la fin du troisième jour, j’arrivai en début de soirée à Urmatt dans l’objectif d’y passer la nuit. Trouver une clairière en lisière de la forêt me semblait être l’idéal. À nouveau pris par la nuit qui arrive toujours trop vite, j’arrivai trop tard à Urmatt et découvrais un village éteint, presque inanimé et aux commerces fermés. Je n’avais pas anticipé cet imprévu et cette erreur me laissait sans nourriture. Après 20 km de marche, ne pas manger est inenvisageable. Je toquais à quelques portes, dont celle d’une dame qui me donna généreusement une boîte de thon et de maïs accompagné d’une pomme, et de quelques politesses. Je ne savais pas comment la remercier. Désormais en direction de la sortie du village en quête d’une clairière, j’aperçus un autre randonneur qui m’explique avoir vu un groupe de randonneur se restaurer au bout de la rue. Je m’y rendais hâtivement, enthousiaste à l’idée de me faire des amis. Cette journée se termina finalement par une assiette de charcuterie, de la glace, et surtout la rencontre de trois compères de bonne fortune. Nous passâmes la nuit ensemble dans une clairière, jusqu’au lendemain ou les deux jeunes acolytes d’une trentaine d’années, amis depuis des années, s’en allèrent par un autre chemin en direction de Sélestat où leur randonnée prenait fin. Mais le troisième, Alex, un baroudeur quadragénaire restaient à mes côtés pour un petit moment. À ce moment-là, je ne le savais pas encore, mais Alex et moi ferions ensemble 100 kilomètres de marche sur le GR, et cela jusqu’à Ribeauvillé.
Alex, une très belle rencontre
Alex m’apprit énormément d’astuces, il me tenait bonne compagnie durant une semaine, et me réconforta plus d’une fois lorsque mes ampoules me faisaient envisager de rentrer à Paris. En même temps, quelle idée de partir avec des chaussures neuves … ? Nous avions nos habitudes. Lors des pauses on mettait le sac au sol, on s’allongeait dessus et on dégainait les cigarettes. Et le soir, lorsque nous atteignions la fin d’une étape, nous redescendions dans la vallée pour la bière quotidienne annonçant le bon augure. Et un peu éméché par l’alcool et la journée, on fouillait le village en quête d’un terrain où dormir.


Après une semaine de marche côte à côte, nous savions que notre arrivée à Ribeauvillé marquerait la fin de notre aventure ensemble. Alex retrouvait des amis le lendemain avec qui il continuerait de marcher quelques jours. De plus, les derniers jours avant notre séparation, lorsqu’il me voyait triste à l’idée de le quitter, il insistait sur le fait que je devais me retrouver seul sur le GR et que j’apprenne par moi-même à y progresser. Il avait raison, cet apprentissage devait être fait. Une fois la nuit passée ensemble à Ribeauvillé, il était temps de se dire au revoir.
Le lendemain, à nouveau seul, je décidai d’aller réfléchir à mon itinéraire autour du « petit déjeuner du chevalier » que propose une boulangerie dans la rue principale de Ribeauvillé. Las des sentiers forestiers, je souhaitais changer un peu, de plus des villageois me conseillèrent à plusieurs reprises d’aller voir les villages typiques du coin tels que Kaysersberg, Riquewihr, et d’autres villages se trouvant sur la route des vins. Je pris note des bons conseils de me décidai à sortir du GR pour quelques jours afin de suivre le chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui traverse la route des vins, à la rencontre des villages alsaciens cachés au milieu des vignes. Ce fut peut-être la plus belle partie de mon aventure. Je me souviens qu’après ce petit déjeuner, le chevalier que je fus termina la tête entre deux rangées de vignes, le ventre plein, en plein soleil. J’ai suivi cette route trois jours.


Un soir vers Labaroche j’ai demandé à une dame de l’eau et son autorisation pour poser ma tente dans son jardin, requête qu’elle accepta. Mon abri était ouvert en direction de la maison voisine et, pendant que je me cuisinais un cassoulet au réchaud, les voisins vinrent fumer leurs cigarettes à la porte. Nous avons partagé une bonne discussion qu’ils clôturèrent en me proposant de l’eau et des pêches en guise de dessert. Quelle bonté dans cette région, décidément tout concourt à mettre de belles personnes sur mon chemin !

Après quelques jours de marche, j’arrivai à Metzeral, point à partir duquel je pus retrouver le GR qui continuait en direction du Schweisel (1271 mètres), sur la route des Crêtes. Une fois sur l’un des sommets de la Route des Crêtes, après une matinée d’effort, alors que j’étais en train de partir, je me retournais quand j’aperçus quelqu’un avec ce que moi et Alex avions l’habitude d’appeler « une capote de sac » orange (le sursac de protection contre la pluie qui est toujours d’une couleur flashy). Les personnes étant à ce moment-là avec Alex lui dirent : « regarde au loin, il y a ton petit frère avec le même sursac orange fluo que toi !». Nous avions le même itinéraire, mais aussi la même capote de sac … et par pur hasard, alors que l’on s’était quitte à plusieurs dizaines de kilomètres de là quatre jours auparavant et que nous avions pris des chemins différents : lui la route des Crêtes et moi celle des vins, nous nous retrouvions ici sur ce sommet. L’émotion fut forte, les retrouvailles poignantes. On s’est retrouvé aux environs de midi, les réchauds se mirent en route, et nous nous sommes raconté les péripéties des jours derniers. Alex avait quitté les amis qui l’avaient rejoint à Ribeauvillé et il vadrouillait depuis avec d’autres randonneurs. J’ai marché avec ce joli groupe le reste de la journée et passé une magnifique nuit sur une crête à 1200 mètres. Loin des hauts sommets, cette crête était toutefois identique à ce dont j’avais rêvé en entreprenant ce voyage.
Ce soir-là nous étions tous excités, car, nous faisait face un coucher de soleil resplendissant, et le lendemain nous attendait le Grand Ballon, point culminant des Vosges à 1424m. J’ai profité de ma plus belle nuit dans ces montagnes en écoutant ce que la brise du soir, dans les hauteurs des crêtes, me donne envie d’appeler le chant de la montagne. À tous les sceptiques qui soupçonneront cette nuit de n’avoir jamais chanté, venez trembler dans ces hauteurs, venez vous oublier dans les soleils mourants ; et une fois la nuit tombée, portée par le vent, vous entendrez ce que la voix de la montagne est capable de vous murmurer.
Nous nous sommes tous séparés après le Grand Ballon et j’ai continué mon chemin sur le GR. Je suis passé chez mon oncle qui habite au Vieil Armand – village qui par chance se trouve à quelques minutes du Mémorial par où passe le GR. Lorsque mon cousin m’ouvrit sa porte, c’était tout l’effort et la fatigue des derniers jours qu’effaçait le bonheur de retrouver de la famille, ainsi que des Flammekueches et de la bière. J’ai repris des forces et continué mon chemin en direction de Thann, avec des vêtements propres ainsi que moins d’ampoules au pied.
Une fin d’après-midi, alors que je venais d’arriver à Thann, poussé par la naïveté de la jeunesse, au lieu de m’arrêter là je fus trop ambitieux pensant que je pouvais faire 10 km supplémentaires pour terminer cette journée en beauté. Tandis que je marchais en direction du village suivant, la nuit se rapprochait à grands pas et mon point d’arrivée restait toujours bien loin. Heureusement en chemin j’ai rencontré un couple voyageant avec leur chien et leur van. Ils avaient posé le camp au milieu de la forêt et s’apprêtaient à allumer un feu pour cuisiner. Ils m’ont d’abord proposé une bière puis m’offrirent le couvert à leur table, voyant que j’avais pour seul repas une conserve. On a cuisiné un plat scout sur le feu ! Des patates, des lardons et du fromage dans de l’aluminium. Le tout forme une boule que l’on pose à côté du feu. S’ensuivit une nuit à discuter au bord des flammes, car la nuit efface les distances. Eux, leur petit chien qui voulait me sauter dessus durant les premières minutes de notre rencontre, et leur van que j’ai renommé Nicovan ; « tous me manqueront » me suis-je dit en les quittant, effectivement je ne m’étais pas trompé…



Finalement, après quelques jours supplémentaires j’atterrissais à Evette-Salbert où se termina ma traversée des Vosges après 275 km de marche. Durant les dernières heures de cette fabuleuse aventure, je me sentais presque un peu trop bien puisque dans les endroits les plus sauvages je sortais au petit matin tout nu, fumant ma cigarette ainsi, les fesses à l’air. J’étais bien, j’étais heureux, j’avais tout. Je suis finalement rentré à la suite d’un appel de ma mère. Les résultats d’une récente analyse médicale indiquaient qu’elle était malade et elle me voulait à ses côtés. La dernière nuit à Évette-Salbert, le ciel aurait pu pleurer de tristesse tant l’atmosphère était lourde et ma joie de vivre était loin. J’étais triste pour elle et triste de ne pas pouvoir continuer alors que ces derniers jours de bonheur dans les Vosges m’avaient convaincu d’aller parcourir son voisin plus au Sud : le Jura. Enfin … la famille reste l’aventure la plus surprenante et importante de toutes et l’Alsace est le lieu de ma première aventure, mais non ma dernière, car je me suis promis de revenir. Aujourd’hui, je revois Alex sur Paris, avec le temps nous sommes devenus de bons amis et nous prévoyons de repartir ensemble. D’ailleurs, par coïncidence, sans nous concerter nous sommes retournés au même moment dans les Vosges l’été suivant, sur les sentiers de notre rencontre. Nous étions non loin mais cette fois nous ne nous sommes pas croisés sur un sentier. Il restera à jamais ma plus belle rencontre là-bas et, en quelques sortes, mon professeur de la forêt.