Traversée du Salar d’Uyuni

 

Le 20 juillet 2019, je me suis lancé dans la traversée du Salar d’Uyuni en Bolivie, à pied, en solitaire et en totale autonomie. Après 6 jours de solitude dans le désert et 140 km parcourus entre Colchani et Llica, j’arrivai enfin de l’autre côté du désert. L’autonomie totale a signifié durant cette expédition n’avoir aucun ravitaillement de nourriture ou d’eau en chemin ainsi qu’aucun moyen de communication avec le reste du monde (pas de balise de détresse ou téléphone satellite). Mes seuls alliés pour traverser les 140km de sel ont été mes jambes, les ressources alimentaires et l’équipement dans mon sac ainsi qu’un GPS pour connaître ma position quotidienne et une boussole pour m’assurer de garder le bon cap. À 20 ans je suis le plus jeune au monde à réussir une traversée à pied, en solitaire et en totale autonomie du plus grand désert de sel au monde.

 

 

 

La naissance d’une idée …

 

Tout peut naitre d’un simple coup d’œil par la fenêtre. Parent de nombreux rêves, l’horizon nous souffle tant idées. Au début du printemps, la pensée d’être seul dans un désert me séduisait. Cette simple idée me faisait déjà voyager. L’homme qui s’abandonne au désert m’a toujours paru être profondément libre. Ces rêveries se sont portées vers le Salar d’Uyuni. J’imaginais ce désert être la représentation parfaite du paradis. Un jardin d’Eden de superficie presque équivalente à celle de l’Île-de-France. Voilà tant d’espace pour flirter avec les dieux. Au début je m’imaginais avoir ce désert pour moi tout seul durant quelques instants, mais rapidement je voulus plus. J’ai commencé à rêver de le traverser. Je souhaitais avoir le temps de ressentir l’espace. Je choisis donc la diagonale la plus longue, 140 km, me laissant ainsi une semaine de marche dans le plus grand désert de sel du monde.

J’en ai d’abord très peu parlé. Puis après les retours de quelques proches, je décidai de taire mon projet. De nature à avoir la rêverie facile, je n’étais pas pris au sérieux. Je pensai alors que pour le salut de mon projet, il me fallait continuer d’y croire quoiqu’il arrive. Cette période était étrange. Je préparais ce projet dans un mutisme qui ne me ressemblait pas. Je me souviens être rentré chez moi après une interview sur le plateau de TV78. Nous étions tous là autour de la table, chacun à son assiette, personne ne se doutait de rien. Je souhaitais en parler, mais l’incompréhension me semblait plus difficile à porter que le silence.

Le 16 juin 2019 s’envolait mon avion pour l’Amérique du Sud. J’ai d’abord voyagé un mois sur le continent. J’avais prévu deux randonnées au Pérou pour me préparer. Ayant un sac de 35kg à porter durant cette traversée, je souhaitais habituer mon corps à de lourdes charges. De plus, le Salar d’Uyuni étant à 3600 mètres au-dessus du niveau de la mer, mon corps devait avant toute chose prendre ses marques en altitude. J’ai donc commencé par le trek de la Cordillère Huayhuash. Cette randonnée de huit jours prend son départ dans un village proche de la ville d’Huaraz. Cette marche était parfaite puisque située entre 4000 et 5000 mètres d’altitude. Par la suite je me suis lancé sur les sentiers du trek du Salkantay. Une marche de quatre à cinq jours menant au célèbre Machu Picchu. Sur ce trek j’ai chargé mon sac à 26kg. Certaines journées de marche ponctuées de nombreuses pentes furent douloureuses. Je me souviens avoir fait quelques siestes le long des sentiers, chose qui suscitait l’interrogation des autres randonneurs. « Va-t-il bien ce petit ? ».  Bien que parfois douloureuses, ces randonnées m’ont permis d’évaluer l’effort que représente une marche en altitude avec un poids conséquent sur le dos.

 

 

Le départ

 

Cette préparation m’a aguerri, mais au fond rien ne pouvait réellement me préparer au vide. Le désert était là. Je faisais face à l’immensité de mes rêves. Il est 7 heures du matin, le taxi a roulé 40 minutes dans la nuit pour que nous soyons là. Le chauffeur ne comprend pas trop mon projet, mais il attend. Il reste là à attendre que je me lance. Il doit se dire qu’en cas de désistement je pourrais à nouveau avoir besoin de ses services pour me reconduire à l’hôtel. Ce qu’il ne sait pas encore c’est que je suis bien plus terrifié par l’idée d’avoir des regrets que celle d’aller seul dans ce désert. Je fais une courte vidéo face au désert, juste le temps d’immortaliser ce moment de bascule entre le thomas qui rêve sa vie et celui qui vit ses rêves, puis je pars. Mon courage et moi nous en allons pour une petite balade. Je lui dis de ne pas m’abandonner, car sans lui je serai vraiment seul au monde.

 

 

Rapidement quelque chose d’immense a pris place. Je me suis senti proche des dieux. La beauté du désert a quelque chose de rassurant. Je m’y sentais bien. À l’exception de quelques zones bien définies du désert où se rendent les touristes, le reste était à moi. Bien que fait uniquement de sel et de vide, ce désert ne m’a jamais réellement fait me sentir seul. Je trouvais compagnie dans le changement de couleur des lueurs du soleil à l’aube et au crépuscule, dans la tendresse de l’eau qui se dépose dans une gorge lasse de l’air chargé en sel, dans la promesse que vous fait la nuit après une journée d’effort, et tant d’autres détails qui donnent à ces instants fugaces un gout d’éternité.

 

 

On développe rapidement des routines. Je faisais et défaisais mon camp de la même manière. Je mangeais mes plats et snacks dans le même ordre chaque jour. L’automatisation des taches simples et répétitives permet d’allouer son énergie à des choses plus importantes. Après quatre jours de marche dans un désert dont les astres et la météo avaient une routine imperturbable, les choses ont changé en très peu de temps. En cette quatrième journée, à l’approche de la nuit j’ai commencé à monter le camp. La tente était en lutte avec un vent qui devenait de plus en plus violent à mesure que le soleil s’évanouissait. Chanceux d’être arrivé au pied du volcan Tunupa, je pus finalement tendre la toile derrière des rochers à l’abri du vent. Le lendemain matin la neige s’est jointe au vent, et sur le désert s’est levé un voile blanc. J’étais désorienté. Tel un marin cherchant son cap, je naviguais la boussole à la main. Je parcourus cette brume durant quatre bonnes heures.

 

 

Une fois celle-ci tombée le vent ne s’en alla pas pour autant. Il s’amplifia tout au long de la journée. Je marchais face aux rafales, des heures durant, heureux comme un enfant de me sentir affronter l’immensément grand. Lorsque vint l’heure de monter à nouveau le camp, les rochers de la veille n’étaient plus là pour me cacher. La dureté du sel empêche toute sardine de le pénétrer. Ce sol vous autorise à séjourner à sa surface, mais ses profondeurs restent un secret inaccessible au voyageur. Dans l’incapacité de stabiliser ma tente correctement je dus m’en servir comme bivy bag posé sur le sol. Je tendis la toile sur ce sol dur et inhospitalier, d’un côté attaché à mon sac et de l’autre à l’une de mes deux poches à eau, cet habitat de fortune survécu à la nuit. Tendre le tout ne fut pas mince affaire. Face à un soleil mourant se déroula le spectacle de mon combat contre le vent. S’ensuivit une nuit froide à cause des rafales qui, se frayant un chemin par la moustiquaire de la toile, venaient me glacer le dos.

 

Une arrivée pas si reposante

 

Le sixième et dernier jour, j’ai simplement marché, comme je le faisais depuis une semaine. Je suis arrivé le 25 juillet 2019 après six jours dans le désert, heureux et fatigué. Mon arrivée à Llica ne fut pas aussi reposante que je l’avais imaginé. Il me fallut deux bonnes heures pour trouver un endroit où dormir, et le village était privé d’eau et d’électricité à cause du vent de la veille (celui que j’avais rencontré dans le désert). La soirée dans la chambre d’hôtel conservait des allures de nuit à la belle étoile puisque sans électricité je vivais à la lueur de ma lampe frontale. Mon encrassement est aussi resté compagnon de cette nuit-là puisque sans eau il me fut impossible de me laver. La véritable délivrance eut lieu le lendemain dans la ville d’Uyuni où se déroulèrent mes retrouvailles avec la douche. Je fus libéré de la saleté que le désert avait déposée sur mon corps, mais non de la beauté laissée dans mon cœur ; car j’étais devenu esclave de mon amour pour le désert au point de repartir neuf jours plus tard pour une traversée du Salar d’Atacama au Chili. Mon répit fut donc de courte durée. Je suis retourné dans le désert aussi vite que j’en suis sorti. J’ai foulé le désert et lui a laissé son empreinte en moi. Là-bas mon corps n’est resté qu’une semaine, mais mon cœur lui y a vécu une vie entière.